Portfolio,  Autobiographie

L’interrogation spirituelle dans mon existence

Contestatrice,  je reprochais souvent à mes parents de m’avoir mise au monde ; c’était un argument imparable. Fréquentant désormais l’école publique, le rationnel l’emporta sur le spirituel : je baignais alors dans un univers laïc et cartésien. Je priais pour sauver alors mon grand-père accidenté mais il mourut et la digue de la foi céda, le doute devint corrosif.

            Un soir cru d’hiver,  j’ouvris  la fenêtre pour saisir les volets de ma chambre. Quelques jours auparavant, j’avais  fait la remarque suivante : « pourquoi faut-il fermer le volets puisqu’on va les ouvrir ? ». J’avais  la raison raisonneuse et puisqu’on ne me répondit pas, je crus avoir  marqué un point.  Alors  dans ma tristesse et ma confusion une fulgurance se détacha : il fallait aider les autres en attendant le néant qui nous attendait tous.  Pourtant, c’est moi qui aurait eu besoin de soutien pour supporte le rien. Mélancolique, j’aurais pu dire aussi : « René c’est moi ». J’eus affaire bien plus tard à un médecin comportementaliste qui me dit : « là le problème est métaphysique ». Ainsi le mal être peut être d’ordre philosophique  mais je demeurais sans interlocuteur ni réponse. Je dis que j’avais une hantise  de la mort en pleurant. Dans ce mini monde parfait on me confia à la voisine pour faire du soutien scolaire aux enfants d’immigrés.

Je ne sais  d’où venait cet hyper rationalisme qui me  faisait rejeter toute magie et surnaturel. Mais je me sentis longtemps comme orpheline et je cherchais Dieu partout jusqu’à renoncer. Mais qu’est-ce qui pouvait me garantir le respect de mes valeurs et m’offrir l’immortalité ? J’en  gardais la nostalgie et  je visitais encore les édifices des villages comme si il y avait encore quelque chose qui me retenais dans mon athéisme. Puis je pensai que tous les transepts et les nefs  se résumaient en une et même croix. Aujourd’hui  je  reviens dans les églises pour allumer quelques lumignons, quelques cierges,  je glisse honnêtement un euro dans la fente et je récite mon « notre père » pour conjurer la mort. Cet  a.u.m  me calme  un instant. L’abolition de l’être même de la conscience est  une aporie. Epictète et Epicure ne sont pas une consolation. J’ai besoin de consolation. La théorie ne résiste pas à l’angoisse de la disparition. Quant à la mort de mes proches, je me vois sans courage à l’hôpital. Je ne pense pas que mon cerveau puisse résister. Plutôt un effondrement qu’un deuil face à la déferlante. Je ne peux retourner sur un lieu quand je l’ai « habité » avec un proche, décédé. Il faudra peut-être que je déménage. La solution est-elle de mourir tous ensemble ? C’est le bon côté du réchauffement climatique .

La mort anéantit notre élan, notre espoir, notre confiance, c’est un aNEANTissement. « Ils » l’acceptent car elle ne leur laisse pas le choix .C’est un mur d’impuissance, une rue sans issue, un évanouissement. Les souvenirs déjà s’envolent et nous sommes peu fidèles aux morts. Les générations se succèdent dans l’oubli. Nous voudrions rendre nos morts « illustres », éternels comme une échelle de l’humanité. Mais les épaules sur lesquelles se hisser sont celles des morts qui sont morts. Les justes meurent aussi dans la souffrance d’un cancer. Les saints du quotidien éteignent leur lumière qui réjouit de la vie, qui conforte dans l’existence de la tendre vérité. C’est comme un automne sans printemps. Le corps peut se dérober à tout instant dans un craquement de viscères et les intestins se rappellent à  nous, pauvres êtres pensants. La faux se balance au-dessus des êtres aimés qui ont franchi l’espérance de vie. La mort ne stimule pas, elle paralyse, elle terrifie, elle raccourcit le temps et elle dit vous avez vécu et telle a été votre vie : vous êtes vieux déjà. La génération Y nous déconsidère,  nous les fidèles à Gutenberg alors que l’on peut aimer au-delà des siècles,  qui Mozart, qui Baudelaire. Inutile alors d’être un zelig de la jeunesse, et de singer l’adolescent. Votre visage s’affaisse. Vous devez assumer la sagesse des vieux. Mais avez-vous appris quelque chose ?  Abandonnez votre fougue juvénile votre intolérance de celui qui croit savoir. La mort, les morts… les survivants récitent quelque propos convenu et ceux qui ne veulent pas se rendre sont déprimés. Le trou noir de l’impossible absorbe les vivants étoilés. Il ne reste que les os après le travail des vers ou les cendres à l’issue des flammes du four. Est-ce que les morts meurent de ne pouvoir respirer dans le cercueil ? Anthropomorphisme du vivant, terreur des vivants. Les enterrements m’anéantissent,  je ne vais pas aux enterrements. Je préfère rester dans l’entre-deux, le flou. Je n’ai pas envie de rire de chanter au bord du trou ni oreiller ni édredon. La mort astre invisible, caché, mais toujours vorace. La mort ne concerne que les « autres » : les vieux  malades , les  accidentés, aussitôt oubliés dans un entrefilet lu par quelque curieux. Le vieux n’a plus que des amis vieux, ou morts et peu de public à son enterrement. Le vieux survivant ne lit plus le journal de la mort de ses amis. Tout se dépeuple déjà : les acteurs quittent la scène pour un Alzheimer, un Ehpad…La vie est triste surtout à la fin.

Il  paraît que la mort nous accompagne chaque jour mais on ne peut regarder le trou noir en face. Je suis une sans Dieu qui à la nostalgie des monastères et du chant grégorien. Je m’interroge : mon mantra, « aime ton prochain comme toi-même » ou  «  les premiers – de cordée – seront les derniers », peuvent-ils se vivre dans notre société ? Finalement je fais retour à ma culture après un long détour par l’intra mondain. Parfois anxieuse je me demande si j’aurais encore le temps. Nous naissons en vagissant et nous mourrons par effraction. Nous finirons en cendres dispersées sur de maigres rosiers dans un « jardin » du souvenir d’un quelconque cimetière. Qui se souviendra de nous ? Les idées me tiennent lieu de spiritualité, le savoir de socle, la morale de tuteur inflexible. Mon désir d’infini se heurte à une existence bornée : nous brassons si légèrement les siècles.  Finalement je ne sais qui prier et quand je dis   «  notre père », je pense déjà et pourquoi pas notre mère ? Vraiment je suis un mauvais paroissien. Je prie alors Gaia de nous porter encore un peu. Athée je demeure fidèle aux valeurs d’un christianisme progressif et j’ai rencontré sur la route beaucoup de saints non répertoriés. La bonté souffre d’anonymat dans notre dépression nationale. Les fraternels, les bons samaritains n’existent pas dans la lucarne.

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